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Sur les rivages solitaires (poésies)

 

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Sur les rivages solitaires (poésies)

Auteur : Jack FEUILLET


***


EN GUISE D'INTRODUCTION


Je suis assurément un homme d'un autre âge,
J'ai choisi le sonnet à toute autre expression,
L'alexandrin convient à ma prédilection,
À sa réputation, jamais ne fis outrage.

Les rimes régulières et les césures sages
Ne sont pas une entrave à mon inspiration,
Car toute liberté n'est que limitation.
J'écris pour le plaisir et n'ai point de message.

Poésie élégiaque, épique ou de combat,
Classique ou romantique, au fond n'importe pas.
Tout peut être exprimé, les joies comme les peines.

Aucune théorie n'a que des partisans,
Le génie ne peut seul remplacer l'artisan.
Le vers est un joyau qu'on cisèle à grand peine.


***


À NERVAL


La septième revient… Ce n'est plus la première
Des chimères voguant à flot de souvenir
Où bouillonnent en moi le désir du partir
Et l'envie de cueillir cette rose trémière.

Dans l'obscure beauté de tes jets de lumière
J'ai vibré mille fois aux cordes du soupir,
Je me suis abreuvé aux joies du devenir,
Mais aussi regretté l'impuissance dernière.

La sainte de l'abîme a vécu à mes yeux,
Nulle croix n'a jailli dans le désert des cieux,
Nous sommes restés seuls dans ce monde sans borne.

Cette porte invisible et d'ivoire et de corne
S'est refermée sur toi pour toute éternité.
Pourquoi ne nous laisser que la réalité?

***


BAUDELAIRE


Qui chanta mieux que toi, poète décadent,
La misère, la mort et notre pourriture,
Et qui sut transformer en un tas d'or l'ordure,
Car tu sentais en toi les relents du néant.

Aucun sujet tabou n'échappe à ton talent;
Tu célèbres aussi bien les grands de la peinture
Que l'aimable passante ou l'humiliée roture,
Car tu sais déployer tes ailes de géant.

Tu cherchais du nouveau au fond de l'inconnu,
Un rêve d'absolu au creux des déserts nus.
Ta quête des odeurs et des amours félines

Fit briller la clarté de nos étés trop courts,
Nous faisant oublier les hideux fonds des cours
Et même la charogne aux essences divines.


***


HOMMAGE À ESSENINE


Не жалею, не зову, не плачу,
Всё пройдёт, как с белых яблонь дым.
Увяданья золотом охваченный,
Я не буду больше молодым.



Moi non plus, je ne veux ni pleurer, ni crier,
Je sens déjà en moi, à travers les gerçures,
Pénétrer lentement l'or de la flétrissure,
Je ne serai plus jeune, à quoi bon se le nier?

Comme toi, j'ai quitté tous les champs familiers
Sans jamais oublier tes cruelles blessures,
Ton cœur écartelé par mille déchirures,
Loin de ta vieille isba sous les verts peupliers.

Éternelle Russie aux érables d'automne,
Chants des steppes lointaines et bouleaux monotones,
Avoines se berçant dans le soleil couchant.

Luxuriance des yeux et crue des sentiments,
Et ce cri dans la nuit de la désespérance:
À quoi bon vivre encor si l'on perd son enfance?


***


NIETZSCHE

Denn ich liebe dich, o Ewigkeit


Du fond de ton tombeau, aimant l'éternité,
Ayant brisé les tables et la moralité
Et montré ses limites à notre humanité,
Tu nous as fait rêver de surhumanité.

Le petit homme laid, malgré ta dureté,
Partout a triomphé contre ta vérité.
Ton Europe a sombré dans la médiocrité,
Nul ne s'immole plus sur l'autel de beauté.

Le monde a rétréci, abdiquant tout honneur.
Qui prend encore à cœur ton refus des valeurs?
Les grands hommes ont perdu l'orgueil des solitaires,

Car toi seul comprenais la fierté de la terre.
Prométhée déchaîné, tu as bravé les dieux,
Mais Christ et Dionysos t'interdisent leurs cieux.


***


VINGTIÈME SIÈCLE


Il fut parmi les siècles un des plus méprisables,
Celui des barbaries et des ignominies,
Guerres menées au nom des idéologies,
Génocide, torture et choses innommables.

Tous les -isme ont servi à couvrir les coupables,
Que de crimes commis, de violence impunie,
Nuit et brouillard, goulag et autres tragédies
Ont rendu l'existence encore plus misérable.

Dans le consensus mou du siècle finissant
Où l'homme s'amenuise en se robotisant,
L'Occident a choisi de se faire respectable.

Mais peut-on oublier les principes foulés,
Le mépris de l'humain toujours renouvelé?
Reste la poésie, autruche dans le sable.


***


MARE INFINITUM


Je marche d'un pas lent au bord de l'océan
Près des flots irisés projetant leur écume.
Au loin, c'est le grand large enveloppé de brume
Cachant ses noirs abîmes et ses gouffres béants.

Je vois des continents surgissant du néant,
Des îles odorantes et des volcans qui fument;
Le parfum des embruns que mes narines hument
M'emmène vers l'ailleurs d'un monde se créant.

Homme libre, toujours, je chérirai la mer
Chantée par Baudelaire en d'admirables vers.
Elle reste pour moi l'inaccessible étoile,

L'immense bleuité qui transcende le temps,
Un morceau d'univers libéré de l'instant,
Voguant au firmament dans l'infini des voiles.


***


BARJOUVILLE


Par les matins d'automne aux aubes paresseuses,
J'aimais me promener le long des chemins creux.
La brume s'élevant du terroir plantureux
M'enveloppait souvent de blancheurs vaporeuses.

Rien ne venait troubler ces heures délicieuses
Où les pensées n'ont plus de replis tortueux,
Où je reconstruisais un monde merveilleux
Dans un élan sans frein d'exaltation heureuse.

Je courais esseulé dans ce pré isolé
Où la nature offrait son cadre désolé,
Et l'Eure m'emportait vers des rives lointaines

Parmi les feuilles jaunes, au-delà de la plaine.
Et je rentrais content, ayant pour quelque temps
Apaisé ma douleur et calmé mon tourment.


***


RÊVE D'ENFANCE


Lorsque j'étais enfant, promeneur solitaire,
Je courais les prairies, les plaines et les bois,
Je chassais les brigands, tous gens sans foi ni loi,
Tel un Ivanhoë d'un monde imaginaire.

Les années ont passé, mais toujours solitaire
N'ai cessé d'arpenter les chemins d'autrefois.
Je n'étais plus au temps des princes et des rois,
Mais je gardais en moi les parfums de la terre.

Au fond d'une clairière ou à l'orée d'un bois,
Le long d'une rivière ai rêvé tant de fois
D'apercevoir un jour la femme aux yeux d'ébène

Et aux longs cheveux noirs encadrant un teint blanc,
Qui m'aurait sans un mot ouvert ses bras aimants
Et m'aurait enlevé vers des contrées lointaines.


***


TON VISAGE


(En hommage à Éluard)


Sur le sable argenté d'une déserte plage,
Sur les plis de la mer à l'infini bleutés,
Sur les âpres sommets dans les eaux reflétés,
Sur l'ambre des rochers, j'ai gravé ton visage.

Dans toutes les contrées, dans tous les paysages,
Dans toutes les aurores à la pourpre clarté,
Dans tous les ciels voilés et dans l'immensité
Des vides constellés, j'ai rêvé ton visage.

Par les sentiers de pluie et les chemins ombreux,
Par les routes, la nuit, et les passages creux,
Partout où je marchais, j'ai cherché ton visage.

Et quand tu m'apparus avec tes longs cheveux
Et qu'aussitôt je sus que je serais heureux,
Dans toute sa beauté, j'ai aimé ton visage.


***


CLOTILDE


Du haut de mes treize ans, je me croyais le roi
Et je voulais montrer que le monde est à moi.
Mais quand je t'aperçus pour la première fois,
Plus rien ne compta plus de ce qui n'était Toi.

Je découvrais alors, dans ce monde bourgeois,
Que les enfants, bien sûr, n'enfreignaient pas les lois
Édictées par les vieux, tous gens de bon aloi,
Réprimant toute atteinte à ce qui est leur droit.

Jeune amoureux transi, je cachais mes émois,
Et grande était ma joie quand j'arrivais parfois
À saisir un instant furtivement tes doigts.

Que tu as ri de moi pendant tous ces longs mois!
Méritais-je vraiment le destin de la noix
Qu'on écrase et piétine à la sortie du bois?


***


MARIE-CHRISTINE


Souvent je pense à vous, paysages de Loire,
A votre sable fin, à l'infini brillant,
A vos îles étirées au large du courant,
Qui fondèrent un jour de du Bellay la gloire.

Voilà plus de trente ans que l'on fit connaissance,
Amie d'un seul été, sous un bleu éternel,
La plage reposait dans un cadre irréel
Où le fleuve immobile exhalait ses essences.

Tu étais la première où s'égaraient mes rêves,
Ton corps et ton sourire étaient si attachants,
Ton petit nez mutin était si provoquant
Que nos mains se joignirent au détour de la grève.

Nous n'avions que nos lèvres en signe de richesse,
Mais je les savourais comme un enfant gourmand;
Bien sûr, je te voulais, mais sans chercher vraiment,
Craignant à tout jamais de briser ta jeunesse.

Cette fleur fut ravie par un autre jeune homme,
L'absolu est trompeur lorsque l'on a quinze ans,
Naïf ou bien timide, et sot en même temps,
Je découvrais le monde et mes limites d'homme.

Les lettres s'estompèrent au fil de ton absence,
Puis tu es reparue dans l'été qui suivit,
Mais les baisers brûlants que je croyais promis,
S'adressaient à un autre ayant cru à sa chance.

Était-ce de l'orgueil ou conduite d'élève?
Je fis bonne figure à ce nouvel affront,
Un poète l'a dit, pourquoi donc faire front,
Dans un monde où l'action n'est pas la sœur du rêve.

En longeant dans le train ces berges souveraines,
Tout ce temps écoulé me revient à l'esprit,
Ton parfum, le soleil et le chanvre roui
S'imprègnent à jamais dans les plis de ma peine.


***


LE LAVOIR


Quelque heure sonne au loin. Longuement égrenés,
Les sons du carillon chantent leur mélodie.
Assis dans le lavoir, je me sens transporté
Dans un monde magique où tout est rêverie.

Le limpide cristal découvre au sein de l'onde
Toute une flore étrange aux opaques clartés.
Des pierres doucement, près du fleuve qui gronde,
S'échappe un ruisselet, ivre de liberté.

Entre les rochers bruns, écrasés par les ombres,
Un poisson solitaire aux écailles d'argent
Promène son éclat dans les profondeurs sombres
Et disparaît soudain dans un trou d'eau béant.

Devant moi, la forêt et ses recoins ombreux
Bercent les cygnes blancs qui nagent en silence,
Et le soleil couchant, d'un long rayon de feu,
Pose son cercle d'or en signe de puissance.

Je contemple muet ce paradis terrestre.
Je serais resté seul, des heures à rêver
Si je n'avais senti, dans ce monde sylvestre,
Ton corps soudainement contre moi se lover.

Mes yeux abandonnés à l'extase profonde
S'arrachèrent alors au spectacle enchanté,
Et ma main caressant tes longues tresses blondes
S'imprégna d'un parfum de douce volupté.

Je laissai à mon cou tes bras m'envelopper,
Une chaleur étrange envahit tout mon être,
Nos bouches se joignirent en un premier baiser,
Moment si exaltant de l'amour qu'on sent naître.

Mais hélas, tout s'arrête: il a fallu partir.
Les yeux remplis d'images au fond de moi gravées,
Je remporte avec moi, comme seul souvenir,
La saveur de ta lèvre à ma lèvre restée.


***


SUZANNE


Ton prénom se confond avec l'année soixante.
Nous sortions du lycée où nous avions laissé
Ces messieurs pérorer sur leurs humanités,
Et nous brûlions de vivre au milieu des tourmentes.

Ce fut au mois de juin que je te vis naissante.
Crèvecœur, la baignade au nom prédestiné,
Fut le témoin enjoué de nos premiers baisers,
Bouches entrelacées et lèvres innocentes.

L'opale de tes yeux, l'éclat de ton sourire,
Et surtout le ruisseau pâle et pur de ton rire
M'avaient en peu de temps fait vivre intensément.

Mais je n'étais pas l'autre, et tes vrais sentiments
Étaient de l'amitié et beaucoup de tendresse
Qui ne purent jamais apaiser mon ivresse.


***


LILIANE


Ton souvenir s'estompe après ce long voyage
Dans les ans, les semaines et les jours disparus.
Pourtant mon cœur n'eût pu rêver d'un absolu
Qui n'eût point revêtu les traits de ton visage.

Je t'avais tant cherchée au seuil de mon jeune âge
Quand tu es apparue, et je ne pouvais plus
Qu'inonder dans tes yeux mon bonheur contenu
Et projeter mon âme à travers ton image.

Mon amour te flattait, sans vraiment t'émouvoir,
Un cœur soi-disant pris t'empêchait de le voir,
Et tu as réussi à juguler sa sève.

Tu préférais souffrir que vivre un grand amour,
Tu n'étais qu'un reflet du monde d'alentour,
Où l'on brise à jamais les délices d'un rêve.


***


ÉTÉ 61


En traversant rêveur Saint-Anthème aux toits bruns,
Sans trop savoir vraiment où ma langueur me mène,
Je repense à ce soir d'été soixante-et-un,
Où tu me proposas soudain qu'on se promène.

Cette offre inattendue, je ne l'espérais plus.
Depuis que tu m'avais prêté des pensées noires,
Nos rapports reposaient sur un malentendu
Et je souffrais toujours de cette sombre histoire.

Je ne mis pas longtemps à t'emboîter le pas
Et me suis bien gardé de montrer ma surprise.
Pourquoi tergiverser puisque tu étais là,
Que m'importaient mes doutes et mes moments de crise.

La nuit enveloppait le village qui dort,
La route qui montait se perdait dans les ombres.
Vers le premier lacet du col de l'Homme Mort,
Nous choisîmes un endroit devant les arbres sombres.

Je jouais le héros d'un médiocre roman
Et tombais à pieds joints dans la grandiloquence.
Je n'imaginais pas que l'on pût être amant
Si l'on ne franchissait le seuil de la démence.

Elle était près de moi, cela seul subsistait,
Aucune autre pensée ne torturait mon âme.
En sa présence aimée, rien d'autre n'existait,
Je lui pardonnais tout, car elle était la Femme.

Très longtemps nous restâmes à contempler le soir
Qu'aurait illuminé quelque lointain Vésuve.
Mes doigts s'éparpillaient dans ses longs cheveux noirs
Et ma bouche captait de sa peau les effluves.

Elle avait appuyé sa tête sur mon cœur,
Aucun mot ne tombait de ses lèvres vermeilles,
Et moi, le corps en feu, frissonnant de bonheur,
Je ne pouvais parler devant tant de merveille.

La fraîcheur de la nuit mit fin à la passion
Et annonça le glas de notre rêverie.
Nous arrachant alors à ce flot d'émotions,
Nous rentrâmes bientôt dans notre colonie.

Le lendemain déjà, le charme était passé.
Cet endroit isolé jamais ne le revîmes.
C'est comme si le temps avait tout effacé
De cette nuit unique et ses instants sublimes.

Je te revis encore au septembre suivant,
Mais je me sentis bien vite un laissé-pour-compte.
Tes amis t'attendaient, tu n'avais plus le temps,
Tu me laissas partir, sans regret et sans honte.

Plus de vingt ans après, mon regard aiguisé
Redécouvre le lieu où, jadis, tu fus reine;
Pourtant mon cœur blessé par cet amour brisé
Garde le souvenir d'une cuisante peine.


***


POURQUOI?


Pourquoi ce matin-là les nuages de sang
Doraient-ils du soleil la clarté tamisée?
Pourquoi rougeoyaient-ils les gouttes s'égouttant
Sur la terre jaunie et la branche brisée?

Pourquoi l'aube levante embaumait-elle les champs,
Vastes étendues bleues que la rosée écume,
Âpre odeur des parfums mêlés intimement,
Dernier sanglot de pluie, dernier flocon de brume.

Pourquoi cours-tu, pensée, au fil de ce courant?
Vois-tu cet univers qui disparaît dans l'onde?
Petit ruban d'argent, au hasard des tournants,
Joyau de ce miroir que le soleil inonde.

Pourquoi donc, ô mon cœur, complice de toujours,
Laisses-tu cette vie s'épancher dans mon rêve?
Cesse d'imaginer qu'apparaîtra cette Ève
Retirant ses diamants au diadème du jour.

Pourquoi, mon âme hantée, te crois-tu ce radeau
Guidant le naufragé vers le dernier rivage?
La vie n'est l'océan, ni le rêve un bateau
Qui nous conserverait de l'Idéal l'image.

Puis tu as disparu, brève vision d'Azur,
Le rêve contre moi a retourné ses armes.
Pourquoi, ce matin-là, l'air était-il si pur?
Pourquoi ce souvenir me remplit-il de larmes?


***


FRANÇOISE


Assise sur un banc, qui de la foule épargne,
Tu jouissais du soleil brillant à profusion;
Tu n'apprécias alors que peu mon intrusion,
Désirant seulement la neige pour compagne.

J'ai souvenance encor d'une marche en montagne
Et d'un chalet perdu, comme un fruit d'illusion.
Là, dans ce désert blanc, devant une infusion,
Nous cédons peu à peu au trouble qui nous gagne.

La patrie de Mozart abrita notre amour,
Puis ton appartement, où presque chaque jour
Nous goûtions le bonheur d'une entente idéelle.

Bien sûr, le grand amour s'efface avec le temps,
Mais tout en n'ayant pas de prise sur les ans,
Nous n'effacerons pas toutes ces nuits si belles.


***


RENDEZ-VOUS


Je n'avais hier soir qu'un film pour te distraire,
L'opéra, passe encor, mais un fantôme aimer!
D'avoir voulu danser, qui saurait t'en blâmer,
Et festoyer, mon Dieu, qui saurait s'y soustraire?

Le temps choisi par toi n'aurait su me déplaire,
Mais je dois décider, et qui plus est, rimer,
Pour choisir le moment que je dois t'intimer.
Neuf heures, ô mon amie, a-t-il l'heur de te plaire?

J'accepte de tes mains l'espoir que tu me donnes,
J'accepte le destin que tes doigts me façonnent
Et je remets un cœur qui ne tremblera pas.

Je vais livrer mon âme à celle qui l'emporte,
Et quand sur le chemin, tu entendras mon pas
Tu ouvriras tes bras à qui frappe à ta porte.


***


TU ÉTAIS CETTE ROSE


Tu étais cette rose à la lande bretonne
Comme l'était l'opale au diadème des dieux,
Écrin d'une émeraude au velours capricieux,
Tu étais ce parfum mêlé au vent d'automne.

Sous la pluie qui, sans bruit, sans répit, monotone,
Faisait pleurer son chant dans la fumée des yeux,
J'attendais une main, même une voix des cieux,
Mais je n'ai rien trouvé, hors le glas qui résonne.

Ma peine qui s'égrène au chapelet des jours
Sera ce que je sème à l'éternel retour.
Je lèverai alors mes yeux vers la Madone,

Mère et reine des rois, et retrouvant ma foi,
Je m'agenouillerai et je prierai pour toi,
Pauvre fleur qui se meurt au cœur qui l'abandonne.


***


VOYAGE DE MONIQUE


Dans ta chère patrie, bientôt tu partiras.
La maison au toit gris où le ciel te fit naître
S'emplira de nouveau des cris de joie du maître
Qui t'ouvrira les bras lorsque tu entreras.

Les meubles familiers que tu retrouveras
Trembleront sous tes doigts dans leur habit de hêtre,
Une chaleur amie envahira ton être
Et tout s'apaisera; pourtant, tu songeras

Qu'il est non loin de là un homme qui espère.
Au vent de la bruyère il souffle sa prière,
Aux brumes du matin il chante sa complainte,

A la rosée du soir il conte son chagrin,
A l'océan troublé il pleure son refrain
Et son cœur déchiré s'abîme dans la crainte.


***


MON CŒUR ME DISAIT BIEN



Mon cœur me disait bien que tu étais trop belle,
Mais mon orgueil est grand, et je ne l'ai pas cru.
Aujourd'hui, je le sais, tu ne reviendras plus,
Mon cœur me disait bien que tu étais trop frêle.

Et pourtant un oiseau, parti à tire d'aile,
Vers un pays lointain, au creux des déserts nus,
Sait retrouver sa route au beau temps revenu.
Pourquoi n'entends-je pas le chant de l'hirondelle?

Mais non, la route est longue et l'oiseau s'est perdu,
Et s'il retourne un jour, je serai disparu.
Une vague photo montrera mon visage,

Des poèmes épars au fond de ton tiroir
Témoigneront encor qu'il me restait l'espoir
De rester plus qu'une ombre au milieu d'une image.


***


DANS CE SÉJOUR LOINTAIN


Dans ce séjour lointain, il est une promesse
Qui a toujours hanté mes veilles de chagrin.
Je pensais à ce cœur qu'un amour inhumain
Avait rongé jadis en ses nuits de faiblesse.

Je revoyais alors l'amour et la détresse
Que trahissait ta main qui recherchait ma main,
Et dans tes cheveux bruns renaissaient les matins
Où ma force ployait quand croissait ma tendresse.

Tu es comme un rocher aux vagues déchiré,
Erratique roseau sans présent, ni passé,
Ployant au gré des vents des amours éternelles.

Pourtant, il reviendra, ton Tristan bien-aimé,
Cherchant dans le désert qu'il avait inventé
Son Iseult adorée qu'il saura toujours belle.


***


ÉVASION


Autrefois, dans mes nuits d'atroce solitude,
Je façonnais des traits, créant sans le savoir
Une femme aux yeux bruns et aux longs cheveux noirs
Qui me délivrerait de cette platitude.

C'était l'âge où songer tient lieu de certitude.
J'imaginais un parc autour d'un vieux manoir,
Une île ou une crique où nous saurions vouloir
Vivre passionnément des jours de plénitude.

Ce voyage lointain ne vit jamais le jour,
Ni cet être idéal qui eût fait le détour
Dans les replis secrets d'une âme ô combien pure.

Dans ce siècle qui meurt de tout sécuriser,
Tout régler, tout penser et tout aseptiser
Ne me reste à présent qu'un rêve d'aventure.


***


AURÉLIA


Ton nom est l'horizon de l'amour impossible,
Symbolique idéal de l'infini, pareil
À l'immense océan à l'heure du réveil
Quand la vague et le vent ne sont plus irascibles.

Tu trônes dans l'Azur, toujours inaccessible,
Chimérique vision de mes nuits sans sommeil,
Éclatante clarté de mes jours sans soleil
Et m'entraînes avec toi au seuil de l'indicible.

De Laure ou Beatrix, tu as l'éternité
Qui sans cesse renvoie au plan de la beauté,
Comme le fil de l'eau renvoie au sein de l'onde.

De Pétrarque ou Nerval, divine incarnation,
Offerte aux yeux élus de la contemplation,
Tu es l'Être absolu venu d'un autre monde.


***


JE T'ÉCRIRAI


Je t'écrirai des mots d'amour pour que toujours
Ton nom reste gravé dans la splendeur des choses
Et que ton souvenir, telles des lèvres closes,
Imprègne son baiser sur l'éternel retour.

Je t'écrirai des mots d'amour afin qu'un jour
Ton parfum confondu aux pétales des roses
Répande sa fragrance et son étrange hypnose
Sur les formes du monde aux infinis contours.

Je t'écrirai des mots de joie pour que se noie
Toute triste pensée dans les plis de la soie.
Je t'écrirai des mots d'espoir pour que ce soir

Ma voix, de l'au-delà, t'atteigne dans le noir.
Je t'écrirai tant et tant de fois que je t'aime
Que le carcan des mots tombera de lui-même.
`

***


UN JOUR TU PARAÎTRAS


Un jour, tu paraîtras au détour d'un chemin
Sur le sable blanchi d'une brûlante grève,
Tes longs cheveux défaits, comme une fille d'Ève,
Courant à ma rencontre en me tendant les mains.

Seras-tu donc toujours un mirage incertain,
Vaguement esquissé dans le creux de mes rêves,
Et pourtant obsession qui ne laisse de trêve,
Incarnation sans fin de l'amour du destin.

Tu as peuplé le fruit de mon imaginaire,
Frêle image emportée de lisière en rivière,
Voguant au gré des flots, des souffles éthérés.

Jamais finalement, je ne te saisirai,
Tu resteras pour moi comme la déchirure
Entre réalité et idéité pure.


***


AU PARC


Me voici dans le parc face au vent qui se lève,
Médiocrité ambiante et asservissement,
Tristesse un peu hagarde et abrutissement,
Comment de mes tourments songer à une trêve?

Rien dans ce cadre vert ne rappelle une grève.
Je regarde les gens et les enfants nageant,
Les femmes aux seins blancs contemplant longuement
Les fruits de leurs entrailles à défaut d'autres rêves.

Autrefois, sur la plage où j'allongeais mon corps,
Je recréais l'image et changeais le décor,
Grisé par la magie des beautés infinies.

Aujourd'hui, tout est vain, finie la rêverie,
Ma jeunesse est passée au rythme de ces jours
Où je n'ai plus cherché à inventer l'amour.


***


MÉLANCOLIE


Je suis triste à mourir en ces jours de vacances;
Le travail habituel ne me satisfait plus.
Mon esprit vagabonde en ces moments perdus
Vers ce qu'étaient les jours de mon adolescence.

Vous repassez toujours à travers mes errances,
Femmes que j'ai aimées et qui ont disparu.
Vous que j'ai implorées de regards éperdus,
Cherchant à atténuer mes pensées de souffrances.

A la sève du fruit, j'ai trempé mes deux lèvres,
A la pulpe du cœur, j'ai imprimé mes dents
Et j'ai cru m'abreuver à la source du temps.

Mais je ne pourrai pas éteindre cette fièvre,
Et ne souhaite pas non plus votre retour,
Femmes qui se riaient quand j'offrais mon amour.


***


BILAN


Dans l'été de mes jours, enfin je comprenais
Que les femmes n'étaient que prétexte à mes rêves,
Jamais je n'en connus en ces années si brèves
Qui comprirent vraiment ce que je recherchais.

Suis-je injuste en disant que l'on ne peut jamais
Trouver dans une femme un compagnon de rêve?
Méfiante et résignée, pensant que tout s'achève,
Elle est l'incarnation d'un idéal abstrait.

Aucune ne sentit que derrière un visage
Se cachait une mer recouvrant une plage,
Que derrière une main, je cherchais un repli,

Que derrière un regard, je cherchais l'infini,
Exigeant de chacune un oubli de soi-même
Pour n'être plus que l'un de deux êtres qui s'aiment.


***


КОПНЕЖ


Arrive quarante ans, âge fort honorable,
Où l'on a réussi ce qui fut entrepris,
Où, nonobstant les peurs, les veilles et les cris,
On a conquis le droit d'avoir sa propre table.

Pourquoi, malgré cela, sonder l'inconnaissable,
Pourquoi nourrir en soi, sans instants de répit,
Ce désir d'absolu, toujours inassouvi,
Pourquoi chercher sans cesse une chose innommable,

Le néant de la nuit, poésie si obscure,
Les abîmes profonds d'un cœur en perdition,
Un rivage de pluie, l'arbre de la passion,

Le souvenir ému d'une rivière pure,
Une plage déserte un beau soir de septembre,
Et cet homme qui pleure au vent froid de novembre.


***


MISSION


L'écrivain est humain: il sent parfois qu'il flanche
Et se retrouve triste et tout méditatif;
Le grand œuvre attendra, ce n'est plus l'objectif,
Et telle matinée verra sa page blanche.

Faut-il donc rédiger, après plusieurs nuits blanches,
Des chapitres serrés, comme tout plumitif,
Et consacrer sa vie au travail productif
En oubliant ce feu qui brûle de revanche?

Que n'a-t-il entendu de voix de la raison
Qui disent au génie de fuir la déraison,
D'avoir une maison, des enfants, une femme.

Mais au fond, peu lui chaut cette sécurité,
Il ne veut pas tomber dans la médiocrité
Et rien ne pourra tuer la flamme de son âme.


***


SAINT-ANTHÈME


Mes pas m'ont reconduit vers ce petit village
Écrasé de soleil en ce mois d'août brûlant.
De bruyants jeunes gens nagent dans le barrage
Aménagé en lac à la place d'un champ.

L'ancienne colonie a subi des ravages.
Là où jadis encor s'ébattaient les enfants,
L'herbe folle recouvre à jamais les passages,
Rien n'a été soustrait aux atteintes du temps.

Mes yeux cherchent en vain, éblouis de lumière,
Les sentiers, les forêts et même la rivière
Où les colons joyeux organisaient leurs jeux.

Enfin, je reconnais le monticule herbeux,
Où celle que j'aimais, comme une rose éclose,
Me fit croire une nuit à l'absolu des choses.


***


SUPER-BESSE



Du balcon tout en bois, ouvert à tous les vents,
Nous découvrons à gauche une sorte de plaine
Que quelques monts herbeux rehaussent à grand-peine
Et que le soir ouaté voile uniformément.

À nos pieds, les maisons se mirent dans les eaux,
Le lac offre l'éclat d'une verte émeraude,
Bateaux et canoës de concert y maraudent
Avec les planches à voile et les blancs pédalos.

A droite les sommets et leurs vertes forêts
Entre les pans du ciel dressent leurs masses sombres
Et jettent à l'infini leurs gigantesques ombres
Qui recouvrent la ville et ses nombreux chalets.

Tantôt une nuée d'enfants et de parents
Sous le feu du soleil se rendent à la plage,
Tantôt les aquilons aux menaçants nuages
Chassent dans leurs maisons les esseulés passants.

Toute notre famille en un grand rendez-vous,
Acceptant de Phébus les cuisantes caresses,
Mais rejetant la pluie et sa morne tristesse,
Découvre la montagne au cœur de ce mois d'août.


***


DÉPART


Les chalets un à un ferment leurs lourds battants,
S'enfonçant lentement dans la brume automnale.
Les commerçants inquiets en ce jour triste et pâle
Regardent s'éloigner les derniers estivants.

Au bord du lac désert, quelques rares enfants
Cherchent les voiliers blancs sur la surface étale.
Les tables des cafés aux couleurs estivales
Offrent leurs chaises vides à d'attardés passants.

De gros nuages noirs se déchirent aux cimes
Et retombent brisés en chapelets infimes.
Le chaud soleil d'été n'est plus qu'un souvenir.

C'est bientôt la rentrée. Et dans sa solitude
Le village retrouve une douce quiétude.
Une tranche de vie se clôt dans le partir.


***


RETOUR


Un soleil accablant écrase le retour,
Et malgré la beauté des cimes accueillantes,
Les prairies de lumière aux fleurs étincelantes,
Je cherche plutôt l'ombre et la tombée du jour.

Le crépuscule étend son manteau de velours,
Apportant sa fraîcheur à la terre brûlante.
Les filles de la Nuit, de leur démarche lente,
Engloutissent les formes aux infinis contours.

Les enfants allongés rêvent de leurs vacances
Cependant que leur père épris de somnolence
Évite de Morphée les regards séducteurs.

J'arrive soulagé à la fin du voyage.
A peine ai-je le temps de rentrer les bagages
Qu'Hypnos déjà me prend dans ses bras protecteurs.


***


NON JAM EADEM



La nostalgie m'étreint dans ma ville natale,
Elle n'est qu'un reflet des cités de demain;
Les routes goudronnées remplacent les chemins,
De coquets pavillons côtoient des maisons sales.

Les cubes de béton ont effacé l'opale;
Les baignades où jadis j'oubliais mes chagrins,
En proie aux herbes folles achèvent leur destin:
Les fleurs n'ont plus d'odeur attachée aux pétales.

A contempler ces lieux, j'ai le cœur oppressé,
Je maudis du passé le retour insensé,
Tout souvenir m'emplit d'une infinie tristesse.

Pendant ces années-là, je n'ai su que vieillir,
Je ne puis retrouver, avant que de mourir,
Ce monde disparu, celui de ma jeunesse.


***


TEMPUS ÆTERNUM


Une légère brume en ce beau soir d'été
Enveloppe le port que la brise caresse.
Aucune ombre, aucun bruit, aucun cri de détresse,
Le temps semble figé, disloqué, arrêté.

Le temps. Qui n'a rêvé de le sentir dompté,
Qui n'a voulu fixer l'éclat de sa jeunesse,
Ou retarder l'instant où viendra la vieillesse,
Morne rumination de ce qui a été?

Le temps qui cicatrise après le temps qui blesse,
Élixir des malheurs qu'il nous envoie sans cesse,
Irréversible et impassible volupté.

Devant ce monstre froid qui le mine et l'obsède,
L'homme veut résister, puis à la fin lui cède,
Croyant lui opposer sa propre éternité.


***


ANTE MORTEM


Notre âme suspendue à son éternité
S'exilera un jour dans son cercueil de pierre.
Faudra-t-il regretter de quitter cette terre
Ou se réjouir enfin de l'immortalité?

Tourmenté par la peur et la timidité,
On s'accuse souvent d'avoir tout laissé faire,
De s'être réfugié dans son imaginaire,
D'avoir nié la laideur pour trouver la beauté.

Notre capacité à idéaliser
Ne nous empêche pas un jour de tout briser.
Même si le malheur envoie ses heures sombres,

Nous préférons souffrir mille et une passions,
Nous extasier sans fin devant la Création
Plutôt que de vaguer au royaume des ombres.




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